Gelures en Montagne 1 – Mécanisme
Document Commission Médicale F.F.M. par le Dr J. FORAY et le Dr P. LANOYE
Cet article « Gelures en Montagne 1 – Mécanisme » a servi de support sur ce sujet précis pour la constitution du dossier médical des expéditions PAMIR 82 et PEROU 82. organisées par le club. Il est daté et à considérer plus comme un document d’archive qu’une base de travail actuelle.

INTRODUCTION
L’expansion « galopante » des sports de montagne, tant en été qu’en hiver vient remettre au rang de l’actualité les gelures qui jusque-là n’étaient bien connues qu’en temps de guerre.
Une meilleure connaissance de cette affection et des moyens de la prévenir devrait permettre aux alpinistes et même aux skieurs de minimiser les conséquences souvent fâcheuses de ces lésions qui peuvent mener à des amputations.
Depuis deux ans et demi, nous avons pu observer plus de 222 cas à l’Hôpital de CHAMONIX MONT BLANC. Il nous est apparu que le gelé avait une personnalité bien particulière.
C’est un sujet en pleine vitalité le plus souvent, dont l’âge moyen est de 24 ans et pour qui la montagne représente souvent plus qu’un simple loisir. Parfois même plus qu’une passion : « La montagne a été pour nous une arène naturelle, où, jouant aux frontières de la vie et de la mort, nous avons trouvé cette liberté qu ‘obscurément nous recherchions et dont nous avons besoin comme de pain “.
Cette phrase de M. HERZOG (ANNAPURNA Premier 8000) illustre bien le pouvoir attractif de la montagne sur l’homme. Lorsque cette montagne le prive partiellement ou totalement de ces outils essentiels que sont pour lui les mains ou les pieds, il se retrouve comme un forgeron sans enclume, diminué moralement autant que physiquement.
Cette considération nous a mené à faire le maximum pour mieux connaitre, mieux traiter et surtout mieux prévenir les gelures. L’alpiniste doit savoir que si la médecine est là pour l’aider il reste le principal acteur dans sa lutte contre le froid.
DEFINITION
On définit les gelures comme étant les lésions localisées, causées par l’action directe du froid au cours d’une exposition plus ou moins longue à une température inférieure 0° C.
Elles siègent essentiellement aux extrémités qui sont les zones les plus éloignées de la circulation centrale. Et également aux parties directement exposées au froid que sont la face et les oreilles.
Souvent isolées, elles peuvent s’insérer dans un tableau clinique d’hypothermie centrale, qui peut être grave, voire engager le pronostic vital surtout si la température descend en dessous de -30° C.
MECANISME
On distingue deux étapes :
- d’une part, le gel des tissus (faisant éclater les cellules comme éclate la bouteille d’eau qui gèle), créant des lésions pratiquement irréversibles ;
- d’autre part, un phénomène vasomoteur contemporain du réchauffement réduisant l’apport cellulaire en oxygène.
ETUDE CLINIQUE
A ce jour, nous avons observé 222 cas de gelures, dont 63 ont été traités à titre externe et 159 hospitalisés. De cette étude, nous avons pu retirer les données suivantes.
NOTION DE FREQUENCE
- environ 6 pour mille des fréquentations de montagne
- environ 10 pour cent des accidentés de montagne
NOTION D’AGE
- deux extrêmes, 15 et 60 ans avec un âge moyen de 24 ans.
NOTIONS DE CIRCONSTANCES
- Hiver : 30%
- Printemps : 20 %
- Ete : 50%
ATTEINTE TOPOGRAPHIQUE
- Mains : 53%
- Pieds : 57%
- Face : 11%
- Oreille : 6%
- Jambes : 1%
SIGNES CLINIQUES
Leur apparition est très progressive, insidieuse et souvent n’attire pas l’attention de l’alpiniste.
Ils sont représentés essentiellement par :
- des extrémités froides
- modification de la couleur de la peau
- un gonflement plus ou moins précoce
- une impotence fonctionnelle en rapport avec la gravité des lésions
- des troubles de la sensibilité
–soit anesthésie progressive –soit pesanteur ou sensation d’engourdissement
L’APPORT BIOLOGIQUE
Parallèlement à l’étude clinique, nous avons tenté une approche biologique des phénomènes inhérents aux problèmes du froid.
CLASSIFICATION DIAGNOSTIQUE | CLASSIFICATION EVOLUTIVE | CLASSIFICATION EVOLUTIVE |
Gelures Superficielles : 73 % | 1er degré : 33 % | 2eme degré : 40% |
Gelures Profondes : 27 % | 2ème degré profond : 21 % | 3ème degré profond : 6 % |
GELURES SUPERFICIELLES
Pâleurs puis érythème au réchauffement | 1er degré |
Quelquefois cyanose mais qui régresse vite | Guérison rapide en 3 ou 4 jours |
Oedème modéré | Pas ou peu de séquelles |
Sensibilité conservée mais émoussée | 2ème degré |
Phlyctnes claires | Guérison en 10 à 15 jours Séquelles possibles |
GELURES PROFONDES
Cyanose fréquente | 2ème degré profond |
Erythème au réchauffement | Nécrose limitée au derme. Guérison en 21 jours environ |
Anesthésie | Séquelles fréquentes |
Grosses phlyctènes séro-hèmatiques | 3ème degré profond |
Pouls périphériques | Nécrose profonde. Guérison très longue séquelles inévitables |
C’est ainsi que le dosage de certains enzymes circulant dans le sang, pratiqué systématiquement dès l’hospitalisation du malade, augmentait parallèlement la gravité des lésions. Si, sur un échantillonnage clinique plus important ces données se vérifient, le dosage sanguin des enzymes pourrait être alors un moyen pratique et précis d’évaluer la gravité des lésions dès le début.
Par ailleurs, nous avons remarqué une hypercoagulabilité du sang presque constante chez tous ces « blessés du froid ».
LA THERMOGRAPHIE
Il s’agit d’un procédé qui consiste à enregistrer sous forme de photographie la chaleur d’un membre, à chaque degré correspond une couleur. Environ 25 % de nos malades ont pu bénéficier de cette thermographie, pratiquée généralement au 10ème jour seulement, car elle nécessite leur transfert à Lyon, le matériel, très couteux, n’existant pas à Chamonix.
Paradoxalement, nous avons noté une hyperthermie en amont des zones gelées, dont la nature reste encore à préciser. Les lésions sont elles, par contre, hypothermiques.
EVOLUTION ET CLASSIFICATION
Nous avons vu que les gelures se caractérisaient par la pauvreté des signes cliniques au début. C’est pourquoi, il est difficile d’en déterminer précocement le degré, dans le pronostic.
Il est pourtant très utile de posséder un classement sémiologique débouchant sur des mesures thérapeutiques appropriées, et nous avons donc été amenés à proposer une double classification, diagnostique et évolutive, en tenant compte des quatre facteurs principaux
- durée d’exposition et température atteinte
- sensibilité
- signes cliniques
- apport biologique