Des Femmes à la conquête du Mont-Blanc.

Des Femmes à la conquête du Mont-Blanc. Le début du 19ème siècle ouvre presque par hasard les portes des cimes enneigées aux femmes. Je vous propose un retour sur cette avancée entre Aventure Humaine et Combat des Stéréotypes.

Au détour d’une lecture, j’ai découvert l’Epopée de 2 Héroïnes du Mont-Blanc dont les noms m’étaient totalement inconnus.

Fait remarquable, leurs patronymes aux accents célestes semblaient destinés ces jeunes femmes à l’ascension des plus hauts sommets de la vie !

Des Femmes à la conquête du Mont-Blanc… Le début.

RSCC ESCALADE MONTAGNE RANDONNEE Des Femmes à la conquête du Mont-Blanc

En ce 8 août 1786 , tandis que Jacques Balmat et le Docteur Paccard gravissaient le Mont-Blanc, les femmes étaient singulièrement absentes de cette conquête mythique du plus haut sommet d’Europe.

Cette absence durera tout de même 25 ans. Un quart de siècle d’attente pour y célébrer la première pionnière.

Marie PARADIS (1778-1839) Le Mont-Blanc dans la douleur.

En effet, c’est le 14 juillet 1808, ou bien 1809 ou encore pour d’autres en 1811, que Marie (Maria) parvint au sommet du Mont-Blanc, entre Paradis et Enfer… point final d’une ascension héroïque et éprouvante.

«Elle est littéralement portée au sommet presque à corps défendant par ses amis guides. Elle racontera de cet exploit qu’elle a été « tirée, trainée et portée au sommet »»

RSCC ESCALADE MONTAGNE RANDONNEE Des Femmes à la conquête du Mont-Blanc

Alexandre Dumas, lors d’un séjour à Chamonix rencontre Marie Paradis qui lui est présentée par son guide, Payot. Tous deux lui racontent l’exploit qui se serait passé en 1811.

Texte rapporté par Alexandre DUMAS / EN SUISSE / La mer de glace : chapitre XI

( ) …et s’appelait Marie Paradis. Jacques Balmat alla à elle, lui prit les deux mains, et, la regardant dans le blanc des yeux :
» – Ah ça ! mon enfant, lui dit-il, êtes-vous bien décidée ?

» – Oui.

» – C’est qu’il ne nous faut pas de pleureuse, entendez-vous ?

» – Je rirai tout le long du chemin

» – Je ne vous demande pas ça, vu que moi, qui suis un vieux loup de montagne, je ne m’engagerais pas à le faire : on vous demande seulement d’être brave fille et d’avoir bon courage ; si vous vous sentez vous en aller, adressez-vous à moi, et, quand je devrais vous porter sur mon dos, je vous réponds que vous irez où iront les autres ; est-ce dit ?

» – Tope ! répondit Maria en lui frappant dans la main.

» Cet arrangement fait, nous partîmes.
» Le soir, comme d’habitude, on coucha aux Grands-Mulets. Comme les jeunes filles ont le sommeil agité, et qu’en rêvant Maria aurait bien pu tomber dans le ravin dont vous a parlé Balmat, nous la mîmes au milieu de nous, nous la couvrîmes d’habits et de couvertures : elle passa donc une assez bonne nuit.
» Le lendemain, au petit jour, tout le monde était sur pied : chacun se secoua les oreilles, souffla dans ses doigts, et se remit en route. Nous arrivâmes devant une espèce de mur de douze à quinze cents pieds de hauteur, et quand je dis un mur, il suffira que je vous explique la manière dont nous le gravîmes pour que vous conveniez que je n’y mets pas d’exagération. Jacques Balmat, qui montait le premier, ne pouvait se plier assez pour donner la main au second de nous ; alors il lui tendait la jambe, se soutenant à son bâton enfoncé dans la glace, jusqu’à ce que le second guide, se cramponnant à sa jambe, fût arrivé à son bâton ; aussitôt Balmat prenait un autre bâton des mains du second guide, le plantait plus haut, et recommençait la même manœuvre, qui, cette fois, s’étendait du second au troisième, et, au fur et à mesure que l’on montait, du troisième aux autres, jusqu’à ce qu’enfin chacun fût en route collé contre la glace comme une caravane de fourmis contre le mur d’un jardin. »

» – Et Maria, interrompis-je, à qui tendait-elle la jambe ?

» – Oh ! Maria montait la dernière, reprit Payot ; d’ailleurs, pas un de nous ne pensait beaucoup à la chose. Nous nous faisions seulement la réflexion que, si le premier bâton venait à casser, nous dégringolerions tous, et, au fur et à mesure que nous montions, la réflexion devenait de plus en plus inquiétante. Enfin, n’importe, tout le monde s’en tira bien, jusqu’à Maria ; mais, arrivée en haut, soit par fatigue de la montée, soit par peur de réflexion, elle sentit que ses jambes s’en allaient à tous les diables ; alors elle s’approcha en riant de Balmat, et lui dit tout bas, afin que les autres ne l’entendissent pas :
« – Allez plus doucement, Jacques, l’air me manque, faites comme si c’était vous qui soyez fatigué.
» Balmat ralentit sa marche ; Maria profita de cela pour manger de la neige à la poignée ; nous avions beau lui dire que les crudités ne valaient rien à l’estomac, c’était comme si nous chantions ; aussi, au bout de dix minutes, le mal de cœur s’en mêla. Balmat, qui s’en aperçut, vit que ce n’était pas le moment de faire de l’amour-propre ; il appela un autre guide, ils la prirent chacun sous un bras, et l’aidèrent à marcher. Au même moment, Victor Terraz s’assit en déclarant qu’il en avait assez et qu’il n’irait pas plus loin. Alors Balmat me fit signe de venir prendre le bras de Maria à sa place, et, allant à Terraz, qui commençait déjà à s’endormir, il le secoua vigoureusement.

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Henriette d’ANGEVILLE (1794-1871) La fiancée du mont Blanc

30 ans après l’exploit de Marie, Henriette démarrera son ascension un dimanche de 1838.
Juste à la place de la messe… mais tout de même avec la bénédiction du curé !

Henriette est à l’opposé de Marie. Son but est clair et mûrement réfléchi, sa préparation est complète. Son équipement vestimentaire est étudié ( une robe et diverses protections visibles sur la gravure ci-dessous ).

Elle veut conquérir ce sommet et s’en donne les moyens.

Texte : témoignages de famille

( ) …La montée par la Pierre Pointue, jusqu’au bivouac des Grands Mulets, se passera dans l’allégresse, Henriette gagnant la confiance de ses guides : « Elle va comme nous et n’a peur de rien. »

Un gigot de mouton et quelque bouteilles plus tard, après savoir entonné des chansons en patois, chacun s’endormit avant de prendre la direction du dôme du Goûter. Là, les affaires se corsent.

« Le froid devenait plus vif, j’avais pris soin de me frotter le visage avec de la pommade de concombre dans cette partie couronnée d’une guirlande de séracs », où, par prudence, les guides divisent la caravane. Après s’être retrouvée un pied dans le vide en franchissant un pont de neige, elle va connaître et vaincre le mal des montagnes.

« Je ressentais une courbature dans les reins, accompagnée d’une pesanteur sur les yeux et mon pouls donnait 136 pulsations par minute, avec un cœur qui ouvrait ma poitrine. » Quelques paroles vont la piquer au vif et la sortir de la torpeur qui l’envahissait : « Voulez-vous que l’on vous porte ? »

La crainte d’un tel affront lui redonne des forces, alors qu’elle distingue la cime. Débarrassée de sa corde et ses bâtons « à 1 heure et 25 minutes, mon pied foulait enfin le sommet du Mont-Blanc et, dans la plénitude de mes facultés physiques et intellectuelles, je pus admirer le grand spectacle qui s’offrait à moi »

Rencontre entre Marie et Henriette

Peu avant son décès en 1838, Marie est invitée à la réception en l’honneur de Henriette.

Elle confiera à celle-ci «qu’elle est la véritable première femme alpiniste à monter au sommet du Mont-Blanc, à quarante quatre ans.{»}

Henriette est parvenue au sommet sans aide ni assistance, Marie a franchi la barrière du 4000 avec 30 ans d’avance sur sa camarade mais fortement soutenue…

Il n’en demeure pas moins que ces fantastiques exploits élargissent dorénavant le champ des possibles féminins en matière de sport et d’alpinisme.

Henriette d’ANGEVILLE mourut le 13 janvier 1871 à Lausanne à l’âge de 77 ans après une vie consacrée à la montagne puis à la spéléologie.

Une nouvelle période ?

La même année 1871, le Cervin allait être gravit par une femme : Lucy Walker.

Une nouvelle période s’entrouvre, même si de nombreuses études récentes relativise le fait !!

Le combat des stéréotypes revendiqué au début du 19ème siècle dans les faits et dans les écrits d’Henriette d’Angeville demeure toujours d’actualité.


Pour en savoir plus…

Marie Paradis, fille de la campagne, servante d’auberge, n’a jamais eu la possibilité d’écrire un récit de son aventure.

  • – Et qu’est-ce que vous avez vu là-haut ? …[ ]…
  • Sur la cime, je n’y voyais plus clair, je ne pouvais plus ni souffler ni parler ; c’était bien blanc, là où j’étais, et bien noir là-bas où ce qu’on regardait »

Henriette d’Angeville a consigné son expérience dans un album de voyage, « Le Carnet Vert », écrit en 1839 et illustré à son retour par des artistes contemporains à partir de ses esquisses et de ses indications, tels les dessinateurs Jules Hébert (1812-1897), Henri Deville et Sain. Malheureusement le livre n’a jamais été édité et la quarantaine de dessins ont été dispersés. Les seules informations connues sur cette œuvre sont celles provenant de témoignages anciens de sa famille.

En bonus, un accès aux grands textes d’Alexandre DUMAS…

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